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Ces événements nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs - Review
Une société toujours plus “moderne”
L'hypothèse centrale de ce livre est que le monde contemporain en cours de globalisation, connaît des transformations suffisamment profondes pour qu'on puisse les caractériser comme une mutation sociétale. Plus précisément, François Ascher considère que le processus de modernisation qui a donné naissance aux Temps Modernes se poursuit aujourd'hui et qu'il fait émerger une société encore plus moderne, c'est-à-dire plus individualisée, plus rationalisée, plus différenciée, et plus capitaliste aussi.
La “société hypertexte”
Dans cette société, les individus, "pluriels", "multi-appartenants", participent à une multiplicité de champs sociaux plus ou moins stables: le travail, la famille, le quartier etc.. Ces champs sont de plus en plus distincts mais restent articulés les uns aux autres, notamment par des liens économiques et culturels. Les individus passent de l'un à l'autre, y engageant des "soi" différents, mais assurant eux-mêmes les liens entre des mondes divers. Les individus passent de l'un à l'autre, y engageant des "soi" différents, mais assurant eux-mêmes les liens entre des mondes divers. Les individus sont ainsi comme les mots d'un hypertexte informatisé, qui prennent des sens différents selon les textes auxquels ils appartiennent. De même que les textes d'un hypertexte peuvent relever de règles linguistiques différentes, les divers champs sociaux dans lesquels se meuvent les individus relèvent de règles sociales diversifiées. Et comme les textes et les mots forment un ensemble hypertextuel grâce aux "liens" numérisés assurés par les mots, les individus et les champs sociaux constituent avec des liens multiples un ensemble social multidimensionnel et structuré.
Du capitalisme industriel au capitalisme cognitif
Le capitalisme industriel avait succédé au capitalisme marchand et à une économie à dominante rurale. Aujourd'hui, la dynamique de la modernisation et de la société hypertexte engendre non seulement le dépassement du fordisme, mais la relégation du capitalisme industriel et l'émergence d¹un capitalisme cognitif. Celui-ci s'appuie sur des nouvelles conceptions de l'action collective et sur la mobilisation des possibilités ouvertes par les NTIC, pour inventer de nouveaux biens et services et pour révolutionner la formation de la valeur. Dans ce contexte sociétal et économique marqué par une incertitude croissante, un nouveau mode de régulation s'ébauche à une échelle mondiale.
Un nouveau type d’état et de régulations collectives
La société hypertexte, mobile et télécommunicante, ouverte et incertaine, nécessite de nouveaux moyens de régulation et de sécurisation adaptés aux libertés nouvelles des individus et des organisations, aux inégalités et aux conflits qui se développent, aux coordinations plus complexes qu'il faut assurer, aux risques qui se multiplient de l'échelle la plus locale à l'échelle planétaire. Dans ce contexte, l'État nation providence, hérité des phases précédentes de la modernité, doit non seulement se "moderniser" mais également s¹inscrire dans une construction étatique de type nouveau, un hyper - État fondé sur les mêmes paradigmes que la société hypertexte.
La “globalisation”
Le processus de modernisation continue de dilater les territoires de l'économie, de la culture, du politique. La globalisation qui en résulte, semble diffuser les mêmes produits et les mêmes pratiques à l'échelle planétaire, mais en même temps elle accroît la variété et le choix disponibles en chaque lieu. À la fois homogénéisation et diversification, la globalisation engendre des dynamiques de différenciation qui, entre autres, inventent ou réutilisent des spécificités fondées sur la proximité physique, sur le "local". Global et local se combinent ainsi dans une "glocalisation" qui met en cause les formes des régulations collectives et appellent à de nouvelles modalités pour les actions de nature étatique.
La maîtrise individualle des espaces-temps de la vie quotidienne
La poursuite de la modernisation et l'usage croissant des technologies de l'information et de la communication ne provoquent pas la fin des villes, mais accompagnent au contraire leur radicalisation, c'est-à-dire leur généralisation à l'ensemble des territoires, et l'émergence de formes urbaines nouvelles, les "métapoles". Dans ce nouveau contexte, caractérisé par une mobilité accrue des personnes, des biens et des informations, les citadins comme les organisations poursuivent et renouvellent leur ambition de maîtriser les espaces - temps de leur existence et de leurs actions. Ils mobilisent pour cela toujours plus les outils qui leur permettent de se désynchroniser et de se délocaliser. Ce faisant il gagnent une autonomie qui n'est que relative car ils sont aussi de plus en plus dépendants de systèmes socio-techniques qui inscrivent la moindre de leurs actions dans un processus fortement socialisé. Les villes et leurs réseaux fonctionnent alors comme le hardware de la société hypertexte, sa composante matérielle; leurs structures sociales, culturelles, économiques et politiques en constituant en quelque sorte des logiciels. Ce cadre nouveau bouleverse progressivement un urbanisme largement hérité de la révolution industrielle et de ses manières de penser, d'agir, d'organiser. La société hypertexte et l'économie cognitive engendrent en fait une nouvelle révolution urbaine, la troisième suscitée par le processus de modernisation, qui nécessite notamment de nouveaux projets collectifs, de nouvelles formes de régulation, un nouvel urbanisme.
La nécessité d’une modernisation radicale du politique
La thèse de la poursuite du processus de modernisation implique la persistance du projet moderne dans la société hypertexte, c'est-à-dire d'une double ambition: d'une part, une plus grande maîtrise par tous les individus de leur vie présente et à venir, d'autre part la constitution d'une société pacifiée et plus juste. Mais cette thèse d'une nouvelle phase de la modernisation et de l'émergence d'une société hypertexte implique aussi des réponses nouvelles dans ce champ du projet politique: d'abord, parce que les catégories qui fondent les projets "de société" ne peuvent plus être les mêmes dans une société complexe, ouverte et "glocalisée" que dans le cadre d'un État - nation -providence; ensuite, parce que les modalités de l'action politique et plus généralement de l'action publique, doivent elles aussi tenir compte des nouvelles structurations de la société et de ses nouvelles façons de fonctionner. L'enjeu pour la société moderne avancée est donc de renouveler les conceptions et les modalités du politique, de la politique, et de la construction des décisions publiques. L'analyse du processus de modernisation et de la société hypertexte conduit à affirmer que la démocratie sera d'autant plus efficace qu'elle sera en phase avec les structures, les modes de fonctionnement, les types de représentation caractéristiques de cette société. Cela implique une démocratie plus procédurale, plus réflexive, plus délibérative et plus "compréhensive", c'est-à-dire qui prenne en compte la manière dont les individus eux-mêmes se représentent leurs situations, leurs comportements et leurs propres actions.
ABOUT THE AUTHOR
François Ascher est professeur à l’Institut Français d’Urbanisme. Il préside le Conseil scientifique du programme Ville du ministère de la Recherche et de la technologie, et le Conseil scientifique et d’orientation de l'Institut pour la Ville en Mouvement. Il a publié en particulier “Métapolis, ou l’avenir des villes” (Éditions Odile Jacob, 1995) et “La République contre la ville. Essai sur l'avenir de la France urbaine” (Éditions de l'Aube, 1998).
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by François Ascher
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